Utilisés comme conservateurs dans les cosmétiques grâce à leurs propriétés antibactérienne et antifongique, les parabènes font débat depuis quelques années. Le grand public les évite de plus en plus, et les marques sont contraintes de ne plus les utiliser si elles veulent vendre.

La controverse a-t-elle lieu d’exister ?

Employés depuis les années 1920, chimiquement, les parabènes sont des esters de l’acide p-hydroxybenzoïque avec des groupes alkyles à chaînes plus ou moins longues. On retrouve ainsi le méthylparabène, l’éthylparabène -dits à chaînes courtes-, le propylparabène, le butylparabène et le benzylparabène -dits à chaînes longues-
Leur structure générale est la suivante -R représente le groupe alkyle qui change selon le parabène- :

En plus d’être présents en cosmétique, ils sont aussi utilisés dans l’industrie alimentaire -identifiés sur les étiquettes par les noms E214 jusqu’à E219- et pharmaceutique. En effet, leurs propriétés combinées avec un faible coût de production a conduit à leur utilisation généralisée. Parmi ces propriétés on retrouve leur large spectre d’activité, stabilité chimique, solubilité dans l’eau, aucune odeur ni saveur, ne provoquant pas de changement de consistance ou de coloration… A savoir que leur activité antimicrobienne augmente en fonction de la longueur de leur chaîne carbonée mais que les plus utilisés sont le méthylparabène et le propylparabène du fait de leur plus grande solubilité -ils sont généralement utilisés en association pour une plus grande efficacité-

Je précise aussi que les parabènes existent à l’état naturel dans certains aliments -mûres, fraises, cassis, vanille, orge, carottes ou encore oignons-, dans les produits fabriqués par les abeilles -propolis, gelée royale- ainsi que dans le corps humain en tant que précurseurs du coenzyme Q10.

Les principales sources d’exposition aux parabènes sont -vous l’aurez compris- les produits pharmaceutiques et les produits de soins. Via ces derniers, on estime que l’exposition quotidienne aux parabènes est située entre 833 et 2400 µg/kg de poids corporel.

Problème : En 2010, l’utilisation des parabènes a suscité la panique en raison de leur potentiel perturbateur endocrinien dont leur capacité à activer les récepteurs des œstrogènes induisant une possible action sur la fertilité et les tumeurs œstrogéno-dépendantes -comme le cancer du sein-

Qu’est ce qu’un perturbateur endocrinien ?

Un perturbateur endocrinien peut imiter ou imiter partiellement les hormones naturelles de l’organisme -comme les œstrogènes ou les androgènes- En interférant avec le système endocrinien, il produit des effets néfastes sur le développement, la reproduction, et a des effets neurologiques et immunitaires. Les effets délétères des perturbateurs endocriniens constituent ainsi un véritable enjeu de santé publique, d’autant plus que de nombreuses questions sur leur mode d’action restent sans réponse et qu’il est désormais connu que les mécanismes impliqués sont considérablement plus complexes que ce que l’on pensait.
De même, leur action non linéaire -par opposition à un effet toxique qui augmenterait avec l’augmentation d’une dose-, l’effet cocktail potentiel -effets additifs et/ou synergiques et/ou antagonistes…-, la latence, la fenêtre d’exposition et la possibilité d’effets transgénérationnels fournissent autant de données qui alimentent la complexité dans ce domaine.

Parabènes = perturbateurs endocriniens ?

Et bien au risque de vous décevoir, non, ça n’a jamais été réellement prouvé ! Malgré les études scientifiques, à ce jour, peu d’informations sont disponibles sur l’impact négatif des parabènes sur la santé : aucun lien direct entre les parabènes et le cancer n’a été établi, peu d’études sont disponibles sur les effets des parabènes sur la fertilité ou les organes reproducteurs. En bref, les preuves sont insuffisantes pour tirer des conclusions, d’autant plus que certaines études restent très limitées et offrent des résultats incohérents entre elles…

En effet, de nombreuses études portant sur les parabènes sont vivement critiquées par la communauté scientifique en raison des limites méthodologiques qu’elles présentent. Laissez-moi vous expliquer. J’ai lu moi-même nombre de ces articles et plusieurs problèmes ressortent. Tout d’abord les groupes de personnes -ou échantillons- étudiés sont trop petits et les périodes d’études sont trop courtes. Parfois les personnes étudiées sont toutes du même sexe, de la même région, de la même origine… Autant vous dire que ce n’est pas avec 24 femmes de 25 à 30 ans provenant du même milieu et sur une semaine de temps que l’on va réussir à obtenir un résultat fiable, la signification statistique est trop faible ! D’autres fois les méthodes laissent carrément à désirer, par exemple tel ou tel échantillon n’est analysé qu’une seule fois, ce qui peut mener à des erreurs si l’expérience a mal été réalisée pour une raison X ou Y.

Et la réglementation dans tout ça ?

Dès 2004, l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé), en collaboration avec l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) et l’InVS (Institut de Veille Sanitaire) -aujourd’hui remplacée par l’agence nationale de santé publique-, ont initié une évaluation de la sécurité des parabènes et mis en place un groupe d’experts. Sur la base de l’analyse des données présentes dans la littérature et des données de pharmacovigilance, l’équipe a considéré que les parabènes étaient peu toxiques et bien tolérés, bien que des réactions allergiques puissent survenir chez certaines personnes.

En 2010, 2011 et 2013, le Comité Scientifique européen pour la Sécurité des Consommateurs (CSSC) a souligné la nécessité de fournir davantage de données sur l’utilisation des parabènes dans les cosmétiques et leurs effets possibles sur la reproduction humaine. Ils ont également fournis les conclusions suivantes :
– Le méthylparabène et l’éthylparabène sont sans danger lorsqu’utilisés à leur concentration maximale autorisée -voir paragraphe ci-après-
– Le butylparabène et le propylparabène sont sans danger si la somme de leurs concentrations ne dépasse pas 0,19%.

En Europe, l’utilisation des parabènes dans les cosmétiques est réglementée : leur concentration maximale ne doit pas dépasser 0,4 % pour un parabène seul et 0,8 % lorsque plusieurs sont utilisés. Pour le butylparabène et le propylparabène, la somme de leur concentration est limitée à 0,14% et ils sont interdits dans les produits sans rinçage conçus pour les enfants de moins de 3 ans.

Mais alors en application on en est où ?

Comme je vous le disais en début d’article, le problème majeur réside dans le fait que les consommateurs ne sont pas bien informés et diabolisent les parabènes, parfois à cause des applications qui scannent les cosmétiques ! Les études scientifiques qui ont été menées n’ont pas permis de conclure avec certitude quels sont les risques sur la santé imputés aux parabènes. Ainsi, c’est par principe de précaution que les gens préfèrent aujourd’hui éviter les produits qui en contiennent. Alors même s’il ne faut pas exclure le risque que peuvent représenter les parabènes, la balance bénéfice/risque reste en la faveur du maintien de leur utilisation raisonnée et contrôlée.

Or, pour continuer de satisfaire l’acheteur, les entreprises cosmétiques sont forcées de les remplacer par d’autres conservateurs -bien que je le répète, les parabènes ne sont absolument pas interdits, comme détaillé dans le paragraphe reprenant la réglementation actuelle- Malheureusement, nous ne connaissons pas toujours bien les effets des conservateurs de substitution trouvés à la hâte… Car n’oublions pas que la combinaison des propriétés des parabènes rend relativement difficile la recherche de remplaçants satisfaisants.


Photo libre de droit : Sinart Creative.
Sources : Association of birth outcomes with fetal exposure to parabens, triclosan and triclocarban in an immigrant population in Brooklyn, New York – Laura A Geer et al., Cancer environnement, CSSC, Endocrine disruptors of the bisphenol and paraben families and bone metabolism – J Vitku et al., Exposure to endocrine disruptors during adulthood: consequences for female fertility – Saniya Rattan et al., Female exposure to endocrine disrupting chemicals and fecundity: a review – Lidia Minguez-Alarcon et Audrey J Gaskins, Parabens. From environmental studies to human health – Dorota Bledzka et al., Prenatal exposure to bisphenols and parabens and impacts on human physiology – L Kolatorova et al., Pubmed, Règlement cosmétique, What is an endocrine disruptor ? – Claude Monneret.

6 commentaires sur “ Les parabènes ”

  1. Très bon article. C’est fou comme les gens critiquent une substance sur la base d’une étude rapide mal conduite & dans la situation actuelle, veulent à tout prix un traitement dont les études ont été conduites tout autant à la hâte …

    1. Merci beaucoup pour ton avis éclairé Aurélie ! En espérant que mon article puisse faire réaliser tout ça au plus grand nombre…

  2. Ah ouai ça m’apprends des choses-là, et moi qui pensait que dès que c’est « sans paraben » le produit il est au top… mais enfaite ce n’est pas une sûreté.

    J’adore ton article en tout cas ! Continue comme ça.

    1. Hello Melanie, super contente de t’avoir appris quelque chose ! Effectivement on a pu nous laisser entendre que les produits sans parabène était une bonne chose mais pas du tout, voire même l’inverse selon ce qui est utilisé pour les remplacer… Je rappelle aussi que les allégations de type « sans … » sont totalement interdites, comme je l’évoque dans mon article sur l’étiquetage : L’étiquetage des produits cosmétiques

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